Tour d’horizon des nouveaux parfums floraux de l’automne 2013 crées par des parfumeurs qui cultivent les fleurs imaginaires
Ici un coquelicot fluorescent, là une espèce tropicale qui n’existe pas, et puis des pétales de rose au miel… Les sent-bon de la rentrée brassent des bouquets fantasmés
Si les fleurs demeurent un thème incontournable des fragrances féminines, en 2013 leur langage a changé. « La jeune fille urbaine n’a qu’une vague idée de leur odeur véritable. Quant à son petit ami, je ne suis pas certain qu’il sache lui offrir des roses en nombre impair », ironise le nez Alberto Morillas (Firmenich), auteur en 2000 de Flower by Kenzo, un coquelicot futuriste poussé sur les toits de Paris.
Son sillage de rose orientale avait immédiatement conquis les femmes du monde entier. Treize ans plus tard, l’histoire continue. Pour Flower in The air la rose charnue se transforme en une pluie de pétales éthérés, dynamisée de poivre rose et de framboises appétissantes, et s’envole vers le ciel.
Des accords plus consensuels
Une interprétation très contemporaine, pour laquelle le parfumeur a joué les équilibristes entre procédés d’extraction et assemblages de pétales divers : absolu de rose de mai pour la sensualité, infusion de rose pour la délicatesse, mais aussi effluves de magnolia histoire de rafraîchir le tout et d’obtenir un coquelicot à la couleur « fluorescente », moins statutaire. On est bien loin du bouquet de roses bordé de violettes de Paris d’Yves Saint Laurent, qui fête ses 30 ans cet automne. Sa créatrice Sophia Grojsman garde encore en mémoire les instructions du couturier : une brassée de roses célébrant la Ville lumière.
Odeurs en réalité augmentée
« Aujourd’hui, un tel brief pour une grande marque serait impensable, car la rose en soliflore possède une connotation datée, commente Isabelle Ferrand, directrice de l’école de parfumerie Cinquième Sens. En outre, une fleur précise risque de déplaire au plus grand nombre. Mieux vaut miser sur un bouquet hétéroclite et abstrait, où chacun imaginera celle qu’il apprécie. » Mondialisation oblige, ajoutons que la rose ne parle pas vraiment aux Asiatiques. Inversement, la fleur de cerisier est hautement désirable, au point d’être l’objet d’une fête nationale au Japon (Hanami), quand la pivoine est vénérée dans toute la Chine.
Un jasmin adouci de rose et de pivoine
Outre-Atlantique, ce sont les espèces blanches qui ravissent les Américaines. Cette cartographie parfumée a sans doute inspiré le premier jus de Repetto, lequel agrémente sa rose poudrée d’une touche de fleur de cerisier. Fictive, forcément, puisque celle-ci ne sent rien au naturel…Boucheron joue pour sa part la carte du bouquet multiple dans Place Vendôme, avec un jasmin adouci de rose et de pivoine. On retrouve cette dernière en majesté dans Peony & Blush Suede de Jo Malone, même si ses pétales offrent plus de qualités décoratives qu’odoriférantes. « La pivoine plaît autant en Asie qu’en Grande-Bretagne et véhicule une image de douceur et de féminité. Pour l’évoquer, nous avons reconstitué une senteur florale douce, rehaussée de la sensualité d’une note daim », explique Christine Nagel, parfumeuse chez Mane.
Si ces bouquets sont actuellement préférés aux soliflores, c’est aussi parce leur image de générosité et de profusion est plus que bienvenue. D’autant qu’avec les réseaux sociaux on s’envoie des brassées virtuelles, tandis que les fleuristes élaborent des compositions toujours plus originales, avec des espèces lointaines ou méconnues (l’orchidée, c’est dépassé).
© Boucheron – Jo Malone – Repetto
Même les fleurs oniriques de l’Art nouveau, autrefois considérées comme « nouilles », ont fait cet été l’objet d’un regain d’intérêt à la Pinacothèque de Paris. Alors, côté abstraction, les parfumeurs s’en donnent à cœur joie. L’Eau de Parfum Intense d’Elie Saab booste son accord initial de jasmin et d’ylang-ylang, d’une goutte de « miel de rose » – comprendre des pétales trempés dans le précieux nectar. L’ylang-ylang, que l’on retrouve également métamorphosé, plus vert que blanc, chez Diptyque dans Eau Mohéli, collection Les Florales.
D’autres poussent la fantaisie jusqu’à inventer l’odeur de variétés inexistantes. Ainsi, Elle L’aime, le dernier né de Lolita Lempicka brandit une fleur de coco. « Nous voulions une note blanche inédite, encore jamais sentie. Nous avons entouré un cœur de jasmin et d’ylang de la note charnue et dense de la noix de coco, nettoyée de sa facette gustative pour éviter toute lourdeur », précise Christine Nagel, sa coauteure (avec Serge Majoullier). « Les jeunes filles se mettent du parfum comme elles se maquillent : dès le matin, puis en retouches toute la journée. De la même façon, elles réclament des sillages nude, qui savent rester discrets au fil des raccords », décrypte Alberto Morillas. C’est là que le bouquet fleuri frais, ni trop envahissant ni trop précis, remplit sa mission de fragrance contemporaine.
© Elie Saab – Diptyque – Lolita Lempicka
Source :
http://madame.lefigaro.fr/beaute