Travail, enfants, maison : dans le couple, ce qu’on appelle la « charge mentale » du foyer pèse encore le plus souvent sur les femmes. Mais ces dernières ont aussi du mal à déléguer.
© organisation-maison.com
«Bon, je vais faire le sac de plage… On met quoi dedans, déjà ? » Assise dans son transat, cet été, Nathalie sourit. Ce n’est pas que son mari qui vient de lui poser cette question ne fait rien à la maison ni avec leurs deux enfants. Au contraire : il fait la cuisine, les courses, le jardinage, s’occupe des petits le matin et quand elle part en déplacement professionnel, ce qui est fréquent.
« Dans les faits, la répartition des charges dans notre couple est à peu près équilibrée, explique-t-elle. La seule chose, c’est que c’est moi qui pense à tout, qui prévois tout, qui organise tout. » C’est donc elle qui sait que le petit a besoin d’un chapeau et la grande de ses flotteurs. Elle qui connaît le menu du soir, la date du rendez-vous médical de rentrée et celles des prochaines vacances scolaires – et s’occupera donc de réserver les billets de train.
Un travail de gestion, d’organisation et de planification
Voilà ce qu’on appelle la « charge mentale ». Il n’en existe pas de définition universelle. Pour la chercheuse canadienne Nicole Brais, l’une des premières à aborder le sujet, il s’agit de « ce travail de gestion, d’organisation et de planification, qui est à la fois intangible, incontournable et constant, et qui a pour objectifs la satisfaction des besoins de chacun et la bonne marche de la résidence ».
La définition est un brin austère. « C’est le fait d’avoir en permanence dans un coin de la tête la préoccupation des tâches domestiques et éducatives, même dans des moments où on n’est pas dans leur exécution », résume plus simplement François Fatoux, ancien membre du Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes et auteur d’un ouvrage qui aborde cette question (1).
Une charge difficile à quantifier
Une définition dans laquelle Françoise, jeune maman d’une petite fille, se retrouve assez bien : « Même quand je suis au travail, je pense à ma fille : ai-je bien fait telle recommandation à la nounou ? Y a-t-il encore assez de yaourts pour ce soir ? Que va-t-on faire ce week-end ?, illustre-t-elle. Ce sont des pensées assez prenantes, voire envahissantes, car elles impliquent une forme de vigilance permanente. »
Contrairement aux tâches domestiques elles-mêmes, il est difficile de quantifier cette charge et donc de la répartir au sein du couple. « Je sais que mon mari n’est pas du tout dans cette logique : lui, quand il est au travail, il est au travail ! Il me dit de faire comme lui, mais ce n’est pas si simple : on a pris des habitudes et il me semble que si je lâchais la bride, il y aurait des choses qui n’iraient pas… »
Une souffrance et une certaine fierté
À plus de 60 ans, Dominique se sent, elle aussi, un peu prise au piège de cette charge qu’elle a conservée depuis l’époque où son fils vivait au foyer : « Ma famille se moque de moi quand je parle du menu du soir alors qu’on est en train de déjeuner. C’est sûr que cela semble un peu maniaque, mais n’empêche que la maison ne tournerait pas aussi bien si je n’étais pas là pour gérer et anticiper. »
Dans ces deux témoignages réside en fait tout le paradoxe des femmes : elles souffrent de cette charge, qui génère du stress, mais elles éprouvent une certaine fierté à l’idée que sans elles le petit monde domestique s’arrêterait de tourner. « La charge mentale du foyer est un enjeu de pouvoir au sein du couple, relève ainsi Christine Castelain-Meunier, sociologue au CNRS. Même si les choses évoluent, les femmes ont encore souvent un salaire moindre, une vie professionnelle moins prestigieuse… Dans le foyer, en revanche, ce sont elles qui ont la main. Le risque est qu’elle transforme leur domicile en forteresse et leur mari en valet. »
Il faut que les femmes apprennent à lâcher du lest
Nathalie reconnaît d’ailleurs que, quand son mari s’occupe des enfants, il vaut mieux qu’elle ne soit pas là : elle a bien du mal, dans ce cas, à retenir ses critiques. « Il faut que les femmes apprennent à lâcher du lest, reprend la sociologue. Ce n’est pas parce que les choses ne sont pas faites à leur manière qu’elles sont “mal” faites. Et puis, plus leur mari fera, mieux il fera : chacun doit y mettre de la bonne volonté. »
L’homme a bien sa part de responsabilité dans les déséquilibres du foyer. « Un modèle est construit à deux, en fonction, certes, de la place que la mère laisse au père, mais aussi en fonction de la place que demande le père, remarquait la sociologue Michèle Ferrand dans une interview, en 2004, à la revue Mouvement. Certains prétendront que les femmes préfèrent s’occuper de la famille ; je ne le crois pas. C’est toujours une charge. Si les femmes sont épaulées par un père présent, elles s’en libèrent. »
© magicmaman.com
Un « sexisme involontaire et sournois » des hommes
Un constat partagé par le Canadien Stéphane Gagnon, ostéopathe de son métier, qui a consacré un article de blog à la question. Il y exhorte les hommes à prendre leur part de responsabilité : «Il n’y a pas une semaine où je ne rencontre une mère avec la nuque et les épaules dures comme de la brique, zone d’accumulation du stress par excellence », relève-t-il, dénonçant le «sexisme involontaire et sournois» des hommes. « L’homme exécute quelques tâches comme sortir les poubelles ou tondre la pelouse et il a l’impression de prendre sa part, mais c’est hypocrite, commente-t-il encore. Il ne prend pas sa part des tâches intellectuelles. Il faut qu’il s’y mette, sinon on n’atteindra jamais une réelle égalité dans les couples. »
La société, dans son ensemble, porte aussi une forme de responsabilité : « Quand il faut récupérer un enfant malade à l’école, généralement, les enseignants appellent la mère, note François Fatoux. C’est donc une question de mentalité. Idem dans la presse féminine, qui exhorte les femmes à tout gérer en même temps. » L’image de la super-maman jonglant entre biberon et smartphone est très valorisée. Il existe pourtant d’autres manières de faire pour que chacun trouve sa place … et sa sérénité.
(1) Ces femmes qui en font trop, Éd. La Martinière, 2002
Source : la-croix.com